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Exclusivité : le premier chapitre de mon prochain roman

Dernière mise à jour : 18 oct. 2023

Saviez-vous qu'on ne dispose que de trois pages pour attirer l'attention d'un éditeur ? La scène d'ouverture d'un roman – c'est-à-dire le premier chapitre ou les quelques premières pages – appelée également incipit, est comme la première poignée de main : c'est son unique chance de faire bonne impression.


Vous l'avez compris : la scène d'ouverture doit être particulièrement soignée et doit donner envie de lire la suite. Il existe des techniques à connaître pour bien réussir l'écriture de son premier chapitre.


Aujourd'hui, je partage avec vous la scène d'ouverture de mon prochain roman, Au royaume des aveugles. En attendant sa sortie prévue à l'automne 2021, j'espère que ces quelques pages vous donneront envie de découvrir le livre et de partir à Shanghai avec ses héros ✈️🏙️😃


Bonne lecture !


premier chapitre du roman Au royaume des aveugles

***


Août

Le jour de la rentrée




Alex n’avait plus rien à perdre, si ce n’est Chloé, sa fille de dix ans qu’il tenait par la main.

L’ascenseur dans lequel ils venaient de pénétrer entama sa longue descente vers le premier étage. En Chine, le rez-de-chaussée n’existait pas, il n’y avait pas d’étage zéro. Dans l’avion qui l’avait mené à Shanghai cinq jours plus tôt, Alex avait lu dans un ouvrage spécialisé – le plus pointu qu’il avait pu trouver dans sa librairie de quartier – qu’en Chine, un nouveau-né avait déjà un an le jour de sa naissance, l'âge incluant la grossesse. C’était comme le nombre d’étages : dans l’esprit chinois, on ne partait jamais de zéro. Cela avait quelque chose de rassurant, pensa Alex.

Ils sortirent de l’ascenseur et s’avancèrent dans le hall d’entrée. Les portes automatiques de leur immeuble s’ouvrirent : la touffeur de l’extérieur s’engouffra, les enveloppant de son drap moite. Alex eut envie de battre en retraite, rappeler l’ascenseur et retrouver la fraîcheur de son appartement climatisé. Là d’où il venait, il avait rarement connu l’air conditionné, mais il avait vite compris dès ses premières heures sur le sol chinois pourquoi tous les appartements shanghaiens en étaient équipés. Le mois d’août touchait à sa fin, l’humidité qui remplissait l’atmosphère menaçait à tout moment de se déverser sur eux et de liquéfier leurs corps.

Alex était planté devant l’entrée de leur immeuble quand il sentit la petite main de Chloé serrer la sienne. Il observa sa fille : son visage trahissait une maturité précoce et exprimait déjà la conscience d’une vie capable de broyer les êtres. Le regard de Chloé cherchait loin. Il s’inquiétait de son mutisme, renforcé après le drame qu’ils avaient vécu. Que pouvait-il faire pour lui rendre l’innocence dont elle avait été dépouillée ? Il ne s’agissait pas de lui dissimuler la vérité. Alex faisait toujours attention à rester ancré dans la réalité, aussi brutale soit-elle. Selon lui, rien n’était plus dangereux que de croire que les problèmes disparaissaient juste parce qu’on n’y pensait plus.

Depuis leur arrivée récente dans la mégalopole chinoise, Alex ressentait une certaine fébrilité. Ses repères s’étaient évanouis au moment où il avait atterri à l’aéroport Pudong de Shanghai. Il n’avait certes pas souvent pris l’avion, mais il ne s’attendait pas à débarquer dans un tel gigantisme. La Chine lui était totalement inconnue ; il la découvrait imposante, avec des codes si différents de ceux de la France – les seuls qu’il avait connus jusqu’ici. Mais ce qui le préoccupait le plus, c’était l’ampleur de la mission qu’il s’était fixée : réparer son manquement paternel et offrir à sa fille un nouveau départ. L’enjeu le rendait nerveux à chaque fois qu’il y pensait, mais il ne pouvait s’autoriser à laisser transparaître un quelconque inconfort. Il était pour Chloé son seul pilier, son dernier pilier, et il se devait de rester bien droit, sans fléchir.

Le chemin qu’ils avaient à parcourir devait leur prendre dix minutes environ. Ils se dirigèrent vers la sortie de la résidence et croisèrent plusieurs personnes âgées en train de se promener autour de la fontaine monumentale ou de répéter quelques étirements. Les visages impassibles et la lenteur des mouvements de ses voisins insufflèrent à Alex une brève sérénité. Cinquante mètres plus loin, ils passèrent devant la loge du gardien et franchirent le tourniquet. Ils avançaient à présent sur le trottoir, à une cadence irrégulière. La moiteur, presque tropicale, les forçait à ralentir le pas. Alex n’avait qu’un objectif en tête : arriver à l’heure au point de rassemblement et ne pas rater le passage de la navette scolaire.

Ils marchèrent le long d’une rue bordée d’échoppes qui dormaient encore derrière leurs rideaux métalliques. Les passants, eux, étaient déjà nombreux sur la chaussée, vifs et bien éveillés, sûrs de leurs pas, avançant vers un avenir aussi prometteur qu’exigeant. Alex accéléra la cadence lui aussi.

Ils parvinrent au bout de l’avenue après quelques minutes et se retrouvèrent face à un carrefour terrifiant. La veille au soir, Alex était parti en repérage pour préparer son plan d’action. Il s’était arrêté au même endroit, et la vue de l’abri bus sur le trottoir d’en face lui avait suffi pour considérer sa mission de repérage accomplie. Il n’avait pas relevé une telle densité de trafic, ni remarqué l’absence de passage clouté pour traverser le carrefour. Ce matin, sur les six voies qui composaient la route, toutes sortes de véhicules roulaient à vive allure : berlines, taxis, bus, scooters, vélos aussi ; tandis qu’en face, au feu rouge, d’autres attendaient sur les starting blocks, prêts à démarrer au quart de tour. Prêts à nous faucher, pensa Alex. Shanghai s’était levée de bonne heure et sa mécanique capitaliste fonctionnait déjà à plein régime.

Il considéra la scène, ne comprit pas l’absence de passage piéton. Il était en colère contre lui-même : cette négligence ne lui ressemblait pas. Il essaya de contenir son émotion et se mit à étudier l’obstacle, cherchant une stratégie pour l’affronter. Il leur fallait passer de l’autre côté car c’était là-bas, en face près de l’abri bus, comme lui avait indiqué le responsable du ramassage scolaire, que la navette s’arrêterait pour récupérer Chloé.

Des vapeurs de chaleur s’élevaient de l’asphalte, floutant leur vision. Les voitures grondaient, vociférant leur impatience. Alex se sentait balloté par le flot continu de véhicules. Il se ressaisit. Malgré la menace du danger, ils n’avaient pas d’autre choix que de traverser. Il releva que la densité du trafic diminuait lors de brefs instants, par intervalles de quelques secondes. Il planta alors un regard déterminé dans les yeux de sa fille. Un bolide les fit sursauter. Il jeta un coup d’œil à droite, puis à gauche. Encore trois voitures et une trouée s’offrait à eux. Il fallait saisir l’instant.

‒ On y va à trois, dit-il. Prête ?

Il saisit la main de Chloé.

‒ Un…

Il jeta un regard à droite.

‒ Deux…

Un regard à gauche.

Il exerça une pression plus forte sur la main de sa fille qui ne le lâchait pas du regard.

‒ Trois !

Ils parcoururent les vingt mètres qui les séparaient du trottoir d’en face en courant, comme sur des braises. Des klaxons leur ordonnaient de se dépêcher. Sains et saufs de l’autre côté, ils s’arrêtèrent un instant pour souffler.

‒ Un petit footing de bon matin, ça réveille ! dit Alex, essayant de se convaincre lui-même.

Il était désolé d’imposer cette agitation à Chloé, à cette heure si matinale, en ce jour si particulier.

A peine eurent-ils le temps de se remettre de cette course improvisée qu’un nouveau coup de klaxon les firent sursauter. A quelques mètres devant eux, ils aperçurent une navette de couleur bleue et blanche, stationnée à côté de l’abri bus. La porte du véhicule s’ouvrit et une femme chinoise en bondit. Elle jeta un coup d’œil alerte autour d’elle avant de se précipiter dans leur direction. De petite taille mais robuste, d’un âge insondable, la femme présenta avec autorité une feuille de papier sur laquelle elle pointa un doigt inflexible. Alex découvrit une liste de noms et trouva aisément celui de sa fille.

‒ Chloé Chevalier ! C’est elle, dit-il à destination de la petite femme.

Sans même adresser un regard au père, la femme saisit Chloé par la main et l’entraîna avec elle en trottinant. Elles eurent à peine le temps de monter dans le minibus que celui-ci repartit en vrombissant. Le tout dura moins d’une minute. Sa fille était maintenant entourée d’inconnus.

S’agissait-il bien de la navette du Lycée Bonaparte ? La question frappa Alex, resté figé sur place. Un autre klaxon, celui d’un scooter électrique roulant à même le trottoir derrière lui, le sortit de sa seconde d’égarement. Il s’écarta pour laisser passer le deux-roues.

‒ Chloé ! cria-t-il alors.

Il chercha des yeux le minibus et le trouva quelques mètres plus loin, à portée de vue, arrêté à un feu rouge. Il courut pour le rattraper. Le feu passa au vert lorsqu’il se trouva à cinq mètres du véhicule. Il eut juste le temps de reconnaître la nuque de sa fille, assise tout au fond. Chloé se retourna soudain, comme si elle avait senti la présence de son père. Elle lui fit signe de la main. Le conducteur redémarra en trombe. Alex se remit à courir pour maintenir le contact visuel avec Chloé le plus longtemps possible. Elle le fixait de ses yeux de hibou et continuait de lui faire signe, tandis qu’il s’époumonait derrière le véhicule. Au bout de quelques secondes, la navette tourna à gauche et Alex se retrouva en fin de trottoir, faisant face à un autre carrefour monstrueux.

Tout en reprenant son souffle, il pensa aux grands yeux de sa fille. Le minibus avait disparu, comme pour toujours. L’inquiétude s’empara à nouveau de lui. C’était la première fois depuis des mois qu’il laissait Chloé s’éloigner et la remettait entre les mains d’une parfaite inconnue. Il était tiraillé par l’idée qu’il avait peut-être fait le mauvais choix. Ne fallait-il pas que sa fille soit de nouveau scolarisée et vive une enfance normale ? La décision de tout plaquer et de déménager à Shanghai s’était imposée comme la meilleure des solutions. Mais en voulant repartir de zéro, dans un univers dont il ignorait tout, il venait de jeter Chloé dans le vide. Puis il se rappela qu’ici, en Chine, on ne partait jamais de zéro.


***


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